De l’humanisme au transhumanisme
Il y a 673 ans exactement, une épidémie venue d’Asie ravageait l’Europe et bouleversait profondément la société. Mais ce fléau allait aussi engendrer, une fois le pire passé, l’éclosion d’une nouvelle façon d’être au monde. Petite mise en parallèle de deux époques que tout semble opposer. A moins que…
Un mal venu d’Asie
D’où provient le virus de la peste ? Les historiens divergent sur son origine géographique exacte, mais s’accordent à la situer quelque part en Asie. Pour les chroniqueurs musulmans de l’époque, ça ne fait aucun doute : l’épidémie vient de Chine et s’est répandue vers l’Ouest via la route de la soie.
Une autre « origin story » voudrait qu’en 1346, les Mongols de la Horde d’or aient assiégé Caffa, un port de Crimée, sur les bords de la mer Noire, tenu par les marchands Génois. L’épidémie, ramenée d’Asie centrale par les Mongols, se répand parmi les assiégés, car les Mongols catapultent les cadavres des leurs par-dessus les murs pour infecter les habitants de la ville. Les deux camps sont rapidement décimés par la maladie et le siège est levé, faute de combattants. Les bateaux génois s’empressent de quitter Caffa. Mauvaise idée : ils vont disséminer la pestilence dans tous les ports où ils font halte. En un an, la maladie se répand tous les pays méditerranéens.
Des vagues successives
A l’inverse du Covid, la peste est une véritable pandémie, meurtrière et foudroyante, qui submerge tout le continent,du Sud au Nord, tel un tsunami. Son taux de mortalité est tellement élevé– entre 60 et 100% des infectés en meurent ! – qu’elle fauche rapidement tous les individus un peu immunodéprimés ; puis elle semble disparaître, après une première vague, terrible, de six à neuf mois.
Une transmission de l’animal à l’homme
Le problème, c’est que la peste est une zoonose (tout comme le Covid selon la thèse officielle dite « de la chauve-souris »), c’est-à-dire une maladie qui se transmet de l’animal à l’homme. Le bacille est transporté par le rat noir, une espèce native d’Asie arrivée clandestinement en Europe dans les cales des navires marchands. Les puces le transmettent du rat à l’humain. Et les contaminations reprennent de plus belle.
En moins de cinq ans (1347-1352), à travers tous les pays d’Europe, la peste noire va faucher près d’un habitant sur deux.
Face à cette hécatombe effroyable et à la mort qui rode, ceux qui en ont les moyens tentent de s’isoler, ou de fuir. Tous les autres se tournent vers la religion, et face à ce châtiment divin font pénitence : les processions de flagellants, qui se fouettent jusqu’au sang en public, se multiplient un peu partout. Les suicides également.
« Fake news » et société divisée
On cherche forcément des coupables et les rumeurs les plus folles circulent. On jette au bûcher les femmes accusées de sorcellerie, les mendiants, les lépreux, mais aussi les Juifs, soupçonnés d’empoisonner les puits. Ceux-ci ont souvent une situation de préteurs, et les héritiers des victimes de la peste, se retrouvant leurs débiteurs, les accusent de profiter de la situation pour s’enrichir. Les pogroms antisémites se multiplient.
Alors on danse
Plus étonnants sont les phénomènes de « manie dansante » qui surviennent spontanément en Allemagne et en Bohème. En 1349, des femmes et des jeunes filles se mettent à danser devant une image de la Vierge. Elles dansent jour et nuit, jusqu’à l’épuisement, s’effondrent, puis rejoignent la « rave party » après quelques heures de sommeil.
En juillet 1374, dans plusieurs villes le long du Rhin, des centaines de jeunes couples commencent à danser et chanter, circulant dans toute la région. Les spectateurs les imitent et se joignent à eux. Le mauvais temps les arrête en novembre, mais chaque été, ils recommencent, quatre années durant.
Le style macabre
La peste marque également l’art. Les danses macabres, ou les vivants farandolent avec les morts, ainsi que le « Dit des trois-morts », ou des jeunes gens rencontrent des cadavres qui leur rappellent que « ce que vous êtes, nous l’avons été ; ce que nous sommes, vous le serez » sont les motifs populaires de l’époque. En peinture les thèmes sombres de la fin des temps, de l’Apocalypse et du jugement dernier remplacent les douces Vierges à l’enfant. D’un autre côté, la disparition de la moitié des artistes, des ouvriers qualifiés comme des mécènes entraine l’arrêt de la construction des cathédrales.
Quarantaines et passeports sanitaires
L’idée d’isoler préventivement les voyageurs en provenance d’un lieu infecté apparaît à Raguse en 1377. Les arrivants doivent passer un mois sur une île avant d’être autorisés à débarquer dans la ville. Venise puis Marseille adoptent le même système en portant le délai à 40 jours – c’est la quarantaine. Le concept est progressivement adopté par la plupart des ports européens.
C’est aussi en Provence qu’apparaît le « billet de santé », premier passeport sanitaire délivré aux voyageurs sortant d’une ville saine, et exigé par les autres villes pour y entrer. Peu à peu se mettent en place des « règlements de peste », de plus en plus élaborés. L’application de ces mesures dépend d’un « bureau de santé » ou d’un « capitaine de santé », dotés d’un pouvoir qui dérive souvent vers la dictature.
Des conséquences durables
Quand la pandémie s’efface en 1352, elle laisse dans son sillage des économies effondrées et des sociétés en lambeaux. Le traumatisme est énorme, ses conséquences – démographiques, économiques, sociales, religieuses – seront profondes et durables.
Dans le monde, cette pandémie provoque indirectement la chute de la dynastie Yuan en Chine, affecte l’Empire khmer et affaiblit encore plus ce qui reste de l’Empire byzantin, déjà moribond et qui tombera finalement face aux Ottomans en 1453.
En Europe, la production agricole a chuté de moitié. Les terres agricoles partent en friche, des villages entiers sont abandonnés et disparaissent (environ un millier rien qu’en Angleterre). Dans les villes dépeuplées, les loyers divisés par quatre et les salaires qui bondissent à cause de la pénurie de travailleurs attirent une nouvelle population, renforçant l’exode rural. Les paysans restés à la campagne en profitent pour agrandir leurs domaines.
Un monde à réformer
Pour les survivants, la peste noire a donc ouvert la voie à de nouvelles opportunités. Tout est à reconstruire. Peu à peu, de nouvelles formes de créativité et de richesse apparaissent.
Moralement, on se dit qu’il faut répondre à l’évidente colère de Dieu en purifiant les mœurs perverties, en revenant à une vie plus équilibrée, en suivant davantage les préceptes divins. Tout cela attise le désir de réformes, tant spirituelles que politiques.
Des nouvelles technologies de communication
La grande angoisse de la mort, l’ébranlement profond des esprits qu’elle a provoqué, la crainte des derniers temps, les peurs eschatologiques vont être encore renforcées par l’apparition de nouvelles technologies de communication : l’imprimerie et la gravure. Celles-ci répandent dans le public cette attente des derniers jours. Elles diffusent les idées de la Réforme protestante, très liée à cette atmosphère de fin du monde ; et réciproquement, la Réforme va stimuler le développement de l’imprimerie.
La Renaissance, début d’une nouvelle ère
C’est donc sur le terreau de ce monde dévasté que va fleurir la Renaissance, marquant les débuts de l’Europe moderne.
Les prémices se manifestent dans les villes d’Italie : Florence, Rome, Naples, Milan, Venise. Un redémarrage économique s’y produit dès la première moitié du XVe siècle. A Florence, des artistes et des penseurs, qui peuvent s’y exprimer librement, redécouvrent la littérature, la philosophie et les arts de l’Antiquité gréco-romaine.
La Renaissance se définit à la fois par un retour à l’Antiquité grecque et par un retour à la nature, les deux étant liés. L’humanisme, même s’il ne nie pas Dieu, le rejette dans l’au-delà et affirme l’autonomie de l’homme par rapport à Lui. Ce n’est plus le Dieu biblique qui sert de référence, mais l’homme qui devient la mesure de toute chose. En ramenant tout à l’homme, on ramène le monde à sa dimension purement naturelle, ou le surnaturel n’a plus sa place.
L’idéal de la Renaissance se répandra lentement, sur une période de deux siècles, à travers toute l’Europe, entraînant un changement profond de représentation du monde par rapport au Moyen Age, des réformes religieuses, des grandes découvertes et un dynamisme économique favorisé par de nombreuses innovations.
« Une peste terrible vint fondre sur les peuples de l’Orient et de l’Occident. Elle se montra lorsque les empires étaient dans une époque de décadence et approchaient du terme de leur existence ; elle brisa leurs forces, amortit leur vigueur, affaiblit leur puissance, au point qu’ils étaient menacés d’une destruction complète. »
Ibn Khaldoun, philosophe et historien musulman du XIVe siècle, Tunis